Arrêtons de parler de « besoin de formation », mais parlons plutôt de « besoin de compétences » avec une approche organisationnelle!

Revenons sur la définition d’un besoin de formation : il s’agit d’un écart constaté entre des compétences détenues par un ou des employés et des compétences requises que l’on cherche à combler par le moyen « formation »; ceci afin de répondre à des défis/difficultés rencontrés sur le terrain OU pour répondre à des projets à venir. (Philippe Carré et Pierre Caspar, Traité des sciences et des techniques de la formation, 2011)

En généralisant cet objectif d’étude du besoin de formation, nous partons du principe que chaque écart de compétences constaté doit être répondu par le moyen « formation ». Il devient la finalité.

Il faut pourtant changer de paradigme : se concentrer sur l’analyse de l’écart de compétences constaté, puis définir le moyen approprié en considérant d’autres possibilités d’action.

Rappelons-nous le triangle de Guy Leboterf, repris par Solveig Oudet (2012), qui définit la compétence en une combinaison de trois ressources (savoir agir, vouloir agir, pouvoir agir). Le fait d’être compétent ou non réside alors dans la mobilisation même de ces trois ressources dans un contexte donné.

Pyramide

  • Le savoir agir, c’est la connaissance, accumulée et détenue par l’employé, issue de ressources internes et externes.
  • Le vouloir agir, c’est la motivation interne et le contexte incitatif de l’environnement.
  • Le pouvoir agir, c’est le contexte permettant l’expression de la compétence en situation de travail.

 

 

 

 

Si l’une de ces dimensions manque, l’employé ne pourra agir avec compétence en situation de travail. Partant de cet état de fait, nous comprenons que les causes à l’origine d’un manque de compétences peuvent être multiples.

Le moyen « formation » est donc loin d’être la solution la plus pertinente selon les causes identifiées; Il est adapté pour le savoir agir. En l’occurrence, les diagnostics et plans d’action visant à comprendre et à faire évoluer le fonctionnement organisationnel, les pratiques de gestion et les opportunités de travail offertes, les valeurs et la culture organisationnelle seront des moyens plus appropriés pour avoir un impact sur le vouloir et le pouvoir agir.

Le travail d’analyse de l’écart de compétence devient indispensable. Il est un préalable pour viser juste dans le choix du moyen de développement de compétences.

En effet, trop souvent, les moyens jaillissent avant même d’avoir réalisé une étude approfondie des besoins réels de compétences. Le manque de temps et de considération, les perceptions erronées de la réalité terrain, l’influence des stratégies organisationnelles viendront toujours nous éloigner d’une analyse adéquate et juste du besoin. Ce manque d’étude approfondie pourrait-il être l’une des causes derrière les pauvres retombées des activités de formation, lorsqu’on sait que celles-ci ne génèrent que de faibles taux de transfert des apprentissages en milieu de travail (ex. : Saks et. Burke-Smalley, 2014).

Maintenant, comment faire pour éviter cela? Quelles sont les conditions gagnantes et les méthodes à proposer pour être efficace dans son analyse de l’écart de compétences?

Les conditions gagnantes seront mises en relation avec les principaux défis que nous constatons le plus dans les organisations que nous accompagnons.

Condition gagnante analyse besoin 

 

Concernant les méthodes d’identification du besoin, il convient d’avoir en tête quelques fondamentaux.

1. Identifier les acteurs clés à rencontrer (acteurs des ressources humaines, directions, gestionnaires, employés, etc.) ainsi que les types de besoins à recueillir pour chacun d’entre eux (besoins individuels liés à la tenue de leur poste, à leurs souhaits d’évolution professionnelle; besoins collectifs liés à des projets d’équipe ou plus transversaux, besoins politiques et stratégiques, etc.).

2. Partir de l’analyse des situations de travail (comprendre ce qui se passe sur le terrain) et combiner plusieurs modalités de recueil du besoin.

 Modalite recueil besoins

3. Questionner le contexte de travail en interrogeant quatre grandes dimensions pour étudier le besoin de compétences (inspirées des travaux de Patrick Rivard, gestion de la formation et du développement des ressources humaines, 2013).

  • Les stratégies organisationnelles : les préoccupations/dysfonctionnements/défis/projets par rapport aux orientations stratégiques; les besoins d’expertises différenciatrices vis-à-vis de la concurrence.
  • L’efficacité organisationnelle: les constats face à l’efficacité (en quantité/qualité produite) et l’analyse des difficultés dans l’atteinte des résultats (organisation/structure du travail, rôles et responsabilités, attribution des projets et des mandats, gestion des équipes, etc.); les zones d’amélioration constatées.
  • Les employés : le niveau d’engagement/motivation dans le fait de se développer; les compétences détenues vs requises pour l’exercice de leurs tâches; l’évaluation des ressources et des opportunités pour permettre d’agir avec compétence en situation de travail; l’évaluation de la ou des cultures de travail en faveur ou non de l’efficacité du travail.
  • Les stratégies en ressources humaines : les retours face aux programmes de développement de compétences proposés; le besoin d’accompagnement dans la concrétisation des objectifs d’affaires et le plan de développement de compétences des employés (collectif et individuel).

4. Orienter, dans le cas de demande de formations spécifiques, les questions sur quatre dimensions, telles que :

  • le public cible;
  • les ressources et les contraintes;
  • les finalités poursuivies (enjeux à couvrir, défis auxquels répondre, objectifs stratégiques à atteindre);
  • les compétences visées (savoir, savoir-faire, savoir-être).

 

Quelles que soient les méthodes de travail entreprises pour identifier et analyser le besoin de compétences, il est important de rester concentré sur la cible (les compétences) et non sur le moyen (la formation). Pour ce faire, il convient de prendre du recul sur les situations de travail et d’analyser les causes du besoin de compétences afin d’investir les efforts dans les moyens appropriés. Plusieurs éléments peuvent venir biaiser le jugement des acteurs décisionnaires et de la formation et nous conduisent à proposer des solutions de développement de compétences malheureusement à côté de l’objectif.

Changeons de paradigme!

 

Références 

  • Carré, Philippe et Pierre Caspar (2011). Traité des sciences et des techniques de la formation, Dunod.
  • Fernagu Oudet, Favoriser un environnement « capacitant » dans les organisations.
  • in Bourgeois, et M. Durand (2012). Former par le travail, PUF, chapitre 14.
  • Le Boterf, De la compétence : essai sur un attracteur étrange, Paris, Éditions d’Organisation, 1994. 
  • Rivard, Patrick et Martin Lauzier (2013). Gestion de la formation et du développement des ressources humaines. Presses de l’Université du Québec.
  • Saks, A. M. et L. A. Burke-Smalley (2014). Is transfer of training related to firm performance? International Journal of Training & Development, 18(2), 104–115.